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Ernest, mon arrière grand-père, était né en 1853, année même où la Nouvelle-Calédonie devenait officiellement française. Qui aurait pu prédire que ses habitants, appelés « Kanaks », finiraient exhibés au jardin d'Acclimatation du bois de Boulogne, coûtant 5F supplémentaires aux visiteurs appâtés par les prospectus titrant « cannibales » ?

 

Cette exposition datant de 1931 fut la dernière du genre en France, clôturant soixante années de shows ethniques à travers toute l'Europe et les Etats-Unis. Des siècles auparavant, du temps des découvertes, on se réjouissait déjà de se représenter l'Autre. De son premier voyage, Christophe Colomb avait ramené six indiens qu'il s'était empressé de présenter à la cour d'Espagne. Au XVIème siècle naissent les cabinets de curiosités, répondant à la soif grandissant d'exotisme des Européens. Mais c'est bien au XXème que les valeurs sociétales connaissent un véritable tournant : affirmer que l'Autre est inférieur, c'est s'autoproclamer par conséquent supérieur.

 

Tout commence avec la création des Freak Shows, qui concrétise l'idée du cabinet de curiosités : on expose des hommes et des femmes aux particularités hors du commun, qu'on accompagne d'anecdotes farfelues, afin d'attirer les foules : la société exploite ainsi les différences de l'Autre dans un but ludique et surtout commercial.

Tout s'amplifie avec la création des zoos humains : j'ai ainsi découvert des recherches scientifiques conditionnées par une époque de préjugés sur l'Autre. L'impact de ces théories raciales est frappant : le monde populaire se presse vers tous les lieux d'exhibitions pour « rencontrer » ces peuples et constater de ses propres yeux combien ils sont « barbares ». C'est l'invention du sauvage.

La société va là encore exploiter l'insolite pour justifier la conquête coloniale. Bien plus que les millions d'entrées comptabilisés à chaque événement d'exhibition, ce sont des millions de visiteurs, comme mon arrière grand-père, qui vont intégrer et transmettre tous les stéréotypes mis en scène par les organisateurs.

Les exhibés, déshumanisés, étaient évidemment victimes de ces pratiques. Le plus surprenant soit qu'aujourd'hui encore, l'on est du mal à accepter cette période sombre des empires coloniaux. L'histoire de la Vénus Hottentote prouve qu'il a fallu du temps à notre propre pays pour accepter de reconnaître, deux siècles plus tard, le fait épouvantable que la France conservait les restes d'une femme victime des théories racistes dans ses musées.

 

Les sociétés du XIX ème et XX ème siècles ont donc su exploiter l'insolite chez l'homme de toutes les manières possibles, quelles soient commerciales, scientifiques, racistes. J'aimerais pouvoir remonter le temps et m'entretenir avec mon arrière grand-père, afin de comprendre cette époque à travers son regard.

 

© 2016 par Nina et Tristan

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