MONSTRE(s)

II- exhibitions monstrueuses & exotiques : Des événements multiples et un succès intact.
Avant d’exposer des êtres vivants, l’occident, dans un éternel besoin d’exotisme, les substitue par des mannequins vêtus de costumes traditionnels et les accompagne de photographies et de moulages anthropologiques. Par exemple l’exposition de 1850 à Londres. C’est en 1867 que seront exposés pour la première fois des individus vivants venants de contres lointaines lors de l’Exposition Universelle de Paris.
DES LIEUX...
L’exposition de l’autre étant devenue un phénomène, tout le monde en veut, et les exhibitions se multiplient.
Les villages itinérants d’Hagenbeck sont sans doute la première preuve d’une pratique de plus en plus populaire. Le concept a été inspiré à Hagenbeck par les freakshows de Barnum, c’est ainsi qu’il expose à Berlin et à Liepzig, des Lapons accompagnés de reines. C’est la naissance du zoo humain. Au fil du temps, on passe d’expositions individuelles d’êtres humains à des expositions collectives. La plupart du temps, les « exposés » sont accompagnés d’animaux relatifs à leurs pays d’origine, les spectateurs trouvent dans ces villages « anthropozoologiques » l’exposition de ce à quoi ils s’attendent. En effet, venant par curiosité, et ne connaissant la plupart du temps que très peu de choses sur les peuples exposés, le spectateur n’aura que la confirmation de ses clichés, et le plaisir d’observer l’exotisme des différences.
Hagenbeck fera alors partager l’exotisme de ses expositions à travers toute l’Europe. Il exposera donc des Nubiens en Allemagne en 1876, puis en France l’année suivante, et même en Angleterre. Hagenbeck ne s’arrêtera pas là, Esquimaux, Indiens, Patagoniens, aborigènes australiens, Mongols, Sioux, Massaïs... Au cours de 70 expositions à travers toute l’Europe, chacun peut contempler les différences mises en scènes dans ces villages de déportés.

De nos jours, l‘existence de ces expositions est peu connue, mais l’ignorance ne s’arrête pas là.

Comme chacun sait, la Tour Eiffel a été construite à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889. Véritable révolution, cet édifice se dresse au bout du Champ de Mars, déguisé pour l’occasion en village exotique, exposant 400 figurants. La présence de ce village nègre est nettement moins connue. C’est lors de la même exposition universelle que sera donné le Wild West Show de Buffalo Bill, qui posera les bases de l’image de l’indien d’Amérique. Ce show avait accueilli 1 million de visiteurs à Londres et à Paris, et à l’occasion de l’exposition, les indiens du show ont même escaladé la Tour Eiffel, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Spectateurs qui, devant les exposés, n’hésitent pas à envoyer de la nourriture, comme à des animaux. Commentant la « bizarrerie » des peuples qui leurs sont présentés, ils créent eux même les preuves de leur supériorité sur ce qui n’est, derrière la barrière, plus qu’un animal exotique.
8 millions. C’est le nombre de personnes qui ont visité un évènement dont je n’avais jamais entendu parler avant de faire mes recherches : l’exposition internationale coloniale de Paris, en 1931. L’évènement est d’une ampleur sans précèdent. A travers une trentaine de pavillons, toutes les colonies Françaises, même parfois étrangères, sont représentées. Vus dans des pavillons reflétant l’architecture de leurs pays d’origine, c’est plus de mille cinq cent déportés des colonies qui sont exposés. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce genre d’évènements n’est pas en libre accès, l’entrée de l’exposition est payante : 3 francs. Mais ce rassemblement n’est pas organisé pour le bon plaisir des visiteurs lambda, l’un des buts premier, hors l’affirmation de la France comme une grande puissance coloniale, est de démontrer aux entrepreneurs les avantages économiques que représentent ces colonies. Cette démesure passe alors de simple attraction à une organisation politique.

"Sont exhibés 350 nègres"
« M. le secrétaire général adjoint annonce que les membres de la Société sont invités par M. Barbier, directeur de l’exposition soudanaise du Champ de Mars, à visiter officiellement cette exposition où sont exhibés 350 nègres »
Extrait du bulletin de la Société d'anthropologie de Paris


Une autre exposition coloniale avait eu lieu à Marseille en 1906, avec un budget de 1 million de francs pour l’organisation. C’est ainsi que sont exposés dans une cinquantaine de pavillons coloniaux tous les peuples vaincus. Avec un bilan de 1 800 000 visiteurs, on peut encore se demander comment de tels évènements sont absents de la mémoire collective.
Mais les grands rassemblements ne sont pas les seules exhibitions. Le public peut également assister à des spectacles novateurs. Inspirés des sideshows à l’Américaine, de grands shows exotiques sont présentés sur scène. Du Théâtre du Châtelet aux Folies Bergères, c’est le tour du monde des peuples dans des décors nourris de clichés et de mythes. Avec un succès constants, ces spectacles mis en scène à la façon Barnum, font rêver le spectateur des nouveaux horizons tels qu’ils ont toujours voulu les voir
...UN PHENOMENE
Une telle diversité d’exhibitions pose une question : comment de tels rassemblements ont-ils pu être mis en place ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que les individus exposés étaient payés pour leurs « prestations ». Ce paiement était surtout une sorte de leurre, car les conditions de vie étaient très mauvaises pour les exposés. Embraqués de pays en pays, dans des climats auxquels ils ne sont pas habitués, on recense beaucoup de morts ou de disparus parmi les « employés » de ces exhibitions. Ils n’étaient pas non plus considérés comme des acteurs et étaient confinés aux limites des expositions. Une autre preuve du fait qu’ils étaient considérés comme inférieurs aux occidentaux.


C’est un fait, malgré l’énorme succès de ces rassemblements monumentaux, ils sont presque absents dans la transmission de l’histoire. Il faut quand même noter que les entrées étaient payantes, c’est donc d’un vrai commerce des différences auquel je me trouve confronté pour la première fois lors de mes recherches. Recherches rendues ardues par un manque d’information sur certains sujets. Par exemple, les premières informations sur Carl Hagenbeck le montrent en génie de l’agencement des zoos (et non pas humains), en personnalité du cirque, mais aucun développement sur les « expositions ethniques ». Est-ce un effort de l’Europe pour oublier une tâche dans son histoire ? Tâche qui n’est en fait que le reflet d’une époque. Si aujourd’hui les faits nous paraissent aberrants, cela est dû au changement des mentalités, à l’infirmation des théories racistes. A l’époque, on allait admirer une naissance dans un village noir pour se divertir, comme aujourd’hui, on peut observer une naissance de girafe dans un zoo.
C’est ce parallèle que j’ai du garder à l’esprit durant mes recherches. Certes cela ne suffit pas à passer l’éponge sur ces faits peu reluisants, mais cela permet de les expliquer en partie. Même si aujourd’hui, on peut également y voir un outil politique, un outil militaire, car oui, la propagande est également partie intégrante de l’organisation de ces évènements.